Biographie
La Princesse Margareta Sturdza nous a quitté le 30 novembre 2009, dans sa quatre-vingt-quinzième année. Revenons en quelques mots sur sa vie et l’œuvre inachevée qu’elle nous laisse en héritage…
Depuis 1955, date à laquelle toute la famille s’est installée dans l’ancienne maison du compositeur Albert Roussel, la Princesse a organisé son existence autour du jardin. Tout son savoir, toutes ses connaissances étaient totalement autodidactes, mais ici, elle allait pouvoir commencer son troisième jardin, forte de ses premières expériences en Moldavie, puis en Norvège où la famille a vécu quelques temps au sortir de la guerre. Ces premiers essais lui avaient enseigné deux bases essentielles qui allaient la guider durant toute sa vie ; la plantation soignée, qui assure un bon départ dans la vie des jeunes plantes, et le mulch, qui permet de protéger le sol, de l’enrichir, de faciliter l’entretien des massifs en diminuant fortement l’installation des mauvaises herbes, mais aussi d’éviter les arrosages durant l’été.
Des influences bénéfiques
Sa rencontre avec Mary Mallet, puis avec Jelena de Belder ont été décisives, tout comme l’ont été ses amitiés avec Lionel Fortescue (que l’on peut considérer comme son mentor), Collingwood Ingram et Sir Harold Hillier. Mme Mallet, Jelena, et la Princesse formaient un exceptionnel trio, qui a fait des ravages dès les premières journées des plantes de Courson. Lionel Fortescue a fortement influencé la Princesse, notamment en ce qui concerne la recherche de la perfection. Il lui avait appris à toujours rechercher les meilleures plantes et remplacer au plus vite les moins intéressantes par les sélections plus méritantes ; chaque plante doit «gagner» sa place et offrir un maximum d’intérêts, une floraison exceptionnelle bien sûr, mais aussi un port attrayant, un feuillage remarquable, une fructification digne d’intérêt ou encore une écorce intéressante en hiver. Si la botanique la passionnait, elle n’hésitait pas, au grand dam de ses amis botanistes, à arracher une plante rare (après s’être assurée de sa survie chez des pépiniéristes ou amis collectionneurs) si elle ne tenait pas ses promesses ou nuisait à l’harmonie ou à la beauté du jardin.
L’harmonie du jardin était son souci principal. Elle voulait pouvoir aller n’importe où, à n’importe quel moment et pouvoir se tourner dans toutes les directions pour admirer des scènes, des perspectives, des ensembles harmonieux, et ce à toutes les saisons. La moindre feuille jaunie, ou traînant sur la pelouse, une bordure mal taillée, une branche morte ou une fleur qui fanait mal, tout ce qui pouvait heurter le regard était impitoyablement enlevé ou éliminé sur le champs. De fait, la «propreté» du Vasterival est rapidement devenue légendaire…
L’Harmonie, partout et en toutes saisons
Le principal tour de force de la Princesse Sturdza est d’avoir maintenu cet état de perfection, d’harmonie, de propreté, mais aussi une richesse botanique et horticole incroyable sur une surface qui n’a cessé d’augmenter au fil des ans, même (et surtout durant les dernières années. Pourtant elle n’a jamais employé beaucoup de jardiniers, assurant elle-même une partie des travaux tels que la tonte, le nettoyage des fleurs fanées, le ramassage des branches mortes, entre les visites qu’elle a guidées de main de maître jusqu’à il y a peu.
Sa passion des plantes était vraiment communicative, nous sommes nombreux à avoir été «contaminés» par sa ferveur et sa curiosité du monde végétal. Dès qu’une nouvelle plante commençait à attirer son attention, elle aimait beaucoup la montrer et partager son enthousiasme avec les visiteurs. Beaucoup de jardiniers amateurs ont découvert au Vasterival le fameux Cornus controversa ‘Variegata’ si bien mis en scène, les mahonias à floraison hivernale ou les viornes étagées (Viburnum plicatum), tous de grandes raretés au début des années 80. Plus récemment, les cornouillers à fleurs, les érables japonais, les magnolias, et surtout les hellébores et les fougères ont attiré son attention. Les meilleures espèces, variétés et sélections sont venues du monde entier peupler ce vallon de Normandie. Elle attendait avec fébrilité de voir le nouveau tapis de 500 hellébores d’orient planté au printemps dernier sous une forêt d’hamamélis et d’érables japonais…
Une collection de beautés
Contrairement à ce que beaucoup pensaient, La Princesse Sturdza n’était pas une «collectionneuse», au sens où peu lui importait de recueillir toutes les espèces d’un genre donné ou toutes les variétés d’une espèce particulière. Elle était très intéressée par le travail du CCVS, mais a toujours refusé la responsabilité de détenir l’une ou l’autre des collections nationales, pour ne pas avoir à conserver des plantes qui auraient pu manquer d’intérêt. Pourtant les «collections» sont importantes : Rhododendron, Betula, Viburnum, Pieris, Skimmia, Cornus, Acer, Deutzia, Hydrangea, Magnolia sont des genres particulièrement bien représentés et le jardin abrite aussi bon nombre de conifères primitifs, et de raretés nouvellement introduites, par ses amis botanistes voyageurs ou par l’un des nombreux pépiniéristes qui comptaient parmi ses amis les plus chers. L’exploration et la «collecte» des différents membres d’un genre lui permettaient surtout d’étendre les périodes d’intérêt d’un genre (les premiers rhodos ‘Christmas Cheer’ fleurissent à Noël, les derniers ‘Polar Bear’ en août-septembre ou de donner un sentiment d’unité en multipliant les variétés d’allure similaire en un endroit donné. Mais après quelques années d’observations, ne restaient que les meilleurs…
Un jardin beau en hiver
L’attrait du jardin en toutes saisons était l’une de ses principales préoccupations et nombre de dernières introductions comprennent des espèces à feuillage persistant, à floraison hivernale, à écorce décorative, ainsi que des conifères qu’elle aimait tant et pour le retour desquels elle militait ardemment, répétant à chaque groupe de visiteurs, combien ils se révèlent précieux pour les jardins en hiver. L’un de ces soucis majeurs a toujours été d’intégrer au mieux cette collection de plantes dans ce beau vallon de Normandie. Beaucoup de plantes d’origine ont été préservées dans le jardin chênes, bouleaux, houx spontanés ont gardé toute leur place aux côtés des joyaux venus de l’autre bout du monde il n’était pas question d’arracher les uns pour privilégier les autres. Elle prenait aussi un soin tout particulier à ne pas heurter le regard avec des fleurs, des feuillages ou des silhouettes trop exotiques les bambous sont très peu nombreux, et elle ne voulait pas planter d’eucalyptus ni de fougères arborescentes jugées trop exotiques et sans adéquation avec le paysage Normand (alors que certains micro-climats leur conviendraient sans doute). De même, aucune protection artificielle ne doit venir gâcher le paysage en hiver : pas de serres, pas de voiles blancs ni d’autres structures venant heurter l’harmonie des lieux. les plantes doivent être assez rustiques ou ne pas rester… Elle aimait d’ailleurs par-dessus tout l’hiver, quand le jardin redevenait «transparent» et tranquille et que les persistants et les conifères se révélaient aux côtés des nombreux arbres à écorces décoratives. Le Vasterival est orphelin, mais son âme est intacte et bien vivante grâce à la fidélité de toute l’équipe de jardiniers formés par la Princesse elle-même et au dévouement de La Princesse Irène Sturdza, sa belle-fille, épouse du Prince Eric Sturdza, son fils cadet. Entretien, introductions et plantations se poursuivent suivant les préceptes et les indications de la Princesse. Bien sûr, il ne sera plus tout à fait le même, mais ce sera toujours un lieu de ferveur et de passion où jardiniers novices ou confirmés pourront venir se ressourcer et marcher dans les pas d’une des plus grandes jardinières que notre époque ait connue.