50 Ans de Passion
Jardiner durant plus de cinquante ans au même endroit est un privilège rare. Cette chance, la Princesse Sturdza l’a mise à profit pour transformer un vallon broussailleux en un endroit merveilleux à la fois pour le botaniste et le jardinier esthète. Son développement sur cinq décennies est facilement lisible à la fois par les différences de maturité entre les plantes, que par l’évolution ou au contraire la raréfaction des variétés. En plus d’être une œuvre d’art vivante, ce jardin est aussi un formidable témoin de l’évolution du jardinage depuis le milieu du XXe siècle.
L’histoire débute en 1955, avec l’achat de cette propriété qui avait appartenu de 1922 à 1937 à Albert Roussel, le célèbre musicien compositeur. La maison était entourée de marécages sur un terrain apparemment plat. Après deux ans de travaux, la modification du chemin d’accès, toute la famille s’installe et la Princesse commence à défricher vers le Nord, dans un bois de pins et de chênes…
Les années 60 : Le bois et les rhododendrons
« Au début, les bois qui entouraient la maison étaient très denses, envahis de ronces et de fougères sauvages ».
Cette phrase que tous les visiteurs ont entendu, paraît aujourd’hui presque une banalité. Beaucoup de jardins ont commencé comme ça. La Princesse elle-même s’attelle à la tâche.
« Je m’astreignais à arracher les racines de fougères aigle, au moins deux heures chaque jour. Si je ne pouvais pas le faire durant une journée, je faisais le double le lendemain ».
Le sol, sablonneux et frais, bien acide est propice aux rhododendrons. Les premiers, des marcottes de R. Halopeanum, et de R. Griffithianum arrivent du bois des Moutiers voisins, offerts par Guillaume Mallet. Ils sont plantés au long de la première limite du bois, ce qui correspond aujourd’hui au cœur de cet espace. Pour relever les couleurs roses tendres de ces deux espèces, la Princesse intercale entre eux plusieurs ‘Pink Pearl’, d’un rose plus soutenu. Au-devant des azalées japonaises ‘Hino-de-Giri’ renforcent encore le camaïeux. Progressivement, le bois s’est peuplé de toute une collection d’espèces et d’hybrides «primaires» regroupés en fonction de leur couleur ou des ressemblances de leur feuillage. Il y a l’allée des rhododendrons bleus, avec plusieurs clones de R. Augustinii, des R. Impeditum , R. Fastigiatum, R.Lavandulaceum, etc., il y a les rhododendrons à grandes feuilles R. Rex , R. Fictolacteum et R. Hodgsonii autour de la petite mare, etc. Les couleurs vives ne sont pas absentes : Plusieurs azalées oranges se répondent à proximité de la mare. Les rhododendrons ‘Jenny Elisabeth’, d’un superbe rouge écarlate tranche avec le blanc des immenses bruyères arborescentes. Plusieurs très grands Rhododendron ‘Cynthia’, (rouge framboise) ou ‘Alarm’, rouge grenat allument aussi tour à tour certains recoins.
Très vite, le bois s’étend vers l’est, au long de trois allées parallèles qui atteignent presque les propriétés voisines. Beaucoup d’autres espèces étoffent les collections, depuis les très précoces R. Mucronulatum, et R. Moupinense et R. dauricum ‘Sempervirens’ fleuris dès février au très tardif ‘Polar Bear’ qui produit ses grandes fleurs blanches et parfumées jusqu’à la fin d’août. Preuve que ces rhododendrons ont trouvé ici un biotope à leur convenance, beaucoup se ressèment sur les tapis de mousses. La Princesse a ainsi pu sélectionner plusieurs clones de ‘Polar Bear’ qui fleurissent successivement, ou des azalées jaunes (R. Luteum) qui fleurissent chacun avec une semaine de différence, allongeant encore les périodes d’intérêt. Beaucoup d’autres espèces complètent la collection de rhodos, en particulier un immense Drimys winteri, un Trochodendron araloïdes de près de 6 m de haut, des Eucryphia (E. x nymansay) géants couverts de fleurs blanches en août, et toute une allée de camélias hybrides fleuris de décembre à fin avril. Au chapitre des curiosités botaniques, on trouve ici l’un des plus vieux Liriodendron chinense planté en France et probablement l’un des tout premiers Acer davidii.